Voyage dans la gouvernance nantaise de la politique de la villeActualité
Dans un livre passionnant, Paul Cloutour raconte son parcours dans les institutions nantaises (1989-2014), où il exercé d’importantes responsabilités d’abord à la Ville, puis à la Métropole. Il y a notamment dirigé la mission Politique de la ville. Il a été aussi membre du réseau Amadeus, qui rassemblait les directeurs en charge de la PV des grandes villes et agglomérations.

Alors que la séance du 21 mars du séminaire 2024-2025 s’est interrogée sur la gouvernance spécifique de la politique de la ville dans l’agglomération toulousaine, la lecture du livre de Paul Cloutour "Mon voyage dans les institutions nantaises" (1989-2014) offre un éclairage passionnant sur la gouvernance nantaise et d’une certaine façon présente un miroir à la vision toulousaine.
Philippe Estèbe ne s’y était pas trompé. Théoricien avec Jacques Donzelot de l’État animateur (note 1), il avait conceptualisé dans les années 1990 l’opposition entre « un modèle toulousain » et « un modèle nantais » de la politique de la ville. Et ce n’est pas un hasard s’il a signé la préface du livre de Paul Cloutour, certes paru en 2017 mais qui garde tout son intérêt historique et même son actualité.
Comme Philippe Estèbe le souligne, « il s’agit du récit d’un insider qui accepte d’ouvrir le moteur des politiques publiques territoriales ». En effet, dans une posture assumée, l’auteur revendique une « écriture de l’intérieur des institutions » ; ce qui est extrêmement rare dans la production éditoriale contemporaine. Ce récit est d’autant plus précieux que Paul Cloutour, docteur en sociologie urbaine, auteur comme consultant de nombreuses enquêtes dans les cités HLM et les quartiers de Nantes et de Saint-Nazaire, est nommé dès mars 1989 par Jean-Marc Ayrault, qui vient d’être élu maire, chargé de mission pour le Développement social des quartiers (DSQ) à la Ville de Nantes. Il exercera ensuite les fonctions de directeur de la mission politique de la ville à Nantes Métropole en 2001 avant de devenir directeur de la mission Dialogue citoyen en 2008 et de terminer sa carrière en animant le Grand Débat « Nantes, la Loire et nous ». Autant dire qu’il sera au cœur des institutions nantaises.
Très proche de Daniel Asseray (1943-2008), adjoint de Jean-Marc Ayrault de 1989 à 2001 et figure emblématique de la politique de la ville en France, Paul Cloutour a tenu pendant toute la durée de ses fonctions « un carnet de bord politique du DSQ » qui donne à son livre profondeur et précision. On ne rentrera pas ici dans sa description minutieuse de la vie institutionnelle nantaise. On s’attachera plutôt à évoquer quelques moments clés de la démarche nantaise et de leur articulation avec la politique nationale de la ville.
Ainsi lorsque parait en 1994 l’essai de Donzelot et Estèbe, la Ville de Nantes tire son propre bilan de cinq ans de DSQ/DSU en considérant qu’« à aucun moment, il n’y eut l’attente d’un rôle de l’État comme animateur ». Au contraire, il s’agissait de « faire de la Ville le moteur des démarches contractuelles que proposait l’État ».
Et quand la politique de l’État, comme en 1995 avec le Pacte de relance pour la ville et son nouveau zonage (ZUS, ZRU, ZFU), va « clairement à l’encontre de l’approche nantaise », les élus refusent de candidater pour une Zone franche urbaine, et demande que les cinq quartiers prioritaires (ex DSQ) soient identifiés comme Zone de redynamisation urbaine. Ce que l’État acceptera pour quatre d’entre eux. Comme le souligne Paul Cloutour, « pour Daniel Asseray, ce zonage ne modifiait en rien les choix déjà faits et l’action municipale impulsa la poursuite des chantiers engagés, tant au niveau urbain que social. »
Les élections municipales de 1995 donnent une large victoire à Jean-Marc Ayrault et à son équipe et une nouvelle délégation plus large et transversale est confiée à Daniel Asseray : « Développement social des quartiers, vie associative, insertion par l’économique ». Cette délégation va s’accompagner d’une réorganisation des services par la création de deux directions : la Direction du développement urbain et la Direction du développement de la vie des quartiers. Cette dernière traduit le choix de Jean Marc Ayrault d’organiser un nouveau champ de l’action municipale, celui de la vie des quartiers, concernant la ville dans son ensemble et non plus seulement les cinq quartiers DSU. Sont ainsi créés onze quartiers dotés de conseils de quartiers, dans lesquels s’inscrivent les sites prioritaires. D’une certaine façon, cette réorganisation entérine une séparation entre l’intervention urbaine et l’action sociale, et anticipe même sur les évolutions ultérieures de la politique nationale de la ville. Mais surtout cette « politique quartiers » initiée en 1995 concrétise le choix d’une intégration forte de la politique de la ville au sein de l’organisation municipale, et non une sphère à part co-pilotée avec l’État. C’est en ce sens que Philippe Estèbe pouvait parler d’un « modèle nantais » en opposition au « modèle toulousain ». Cependant, dans son ouvrage, Paul Cloutour ne revendique pas un quelconque « modèle nantais ».
En tout cas, ce qui pouvait apparaître comme une dilution de la politique de la ville dans une gestion banalisée s’est plutôt traduite par une diffusion de la culture du développement social urbain dans l’ensemble de l’organisation municipale avec un corps de professionnels dédiés et intégrés. Ce choix nantais d’organisation, confirmé et renforcé au cours des trente dernières années, reste d’actualité.
Le positionnement de la mission politique de la ville, que Paul Cloutour dirige entre 2001 et 2004, évoluera encore avec la structuration de l’agglomération nantaise, qui devient en 2001 communauté urbaine (Nantes Métropole). A ce moment-là, la mission Politique de la ville est rattachée à la Direction générale du développement urbain tandis que le GPV Malakoff Pré Gauchet relève de la Direction des grands projets (avec l’île de Nantes). C’est le temps du troisième mandat de Jean-Marc Ayrault (2001-2007), qui s’accompagne du retrait de la vie politique de Daniel Asseray (et son remplacement par Patrick Rimbert). A partir de cette époque, la question des interventions urbaines au titre de la politique de la ville pose des problèmes grandissants à Paul Cloutour. D’abord du fait de la répartition des compétences sur ces interventions entre la Communauté urbaine (le GPV Malakoff Pré Gauchet) et les villes de Nantes et Saint-Herblain (les projets sur les autres quartiers). Mais aussi d’une prééminence de plus en plus nette de l’urbain sur le social, encore renforcée par la création de l’ANRU, puis de l’Acsé. En 2005, Paul Cloutour quitte la mission Politique de la ville pour mettre en place auprès du DGS de Nantes Métropole une mission Cohésion sociale. Là commence une autre histoire, que raconte également l’auteur, mais qui concerne surtout les défis de la construction métropolitaine nantaise.
Saluons au passage sa capacité à raconter une histoire prenante de manière distanciée alors que l’auteur a été mis à l’épreuve à plusieurs reprises (et il ne le cache pas). Son art du portrait est également remarquable (l’ouvrage en est ponctué d’une vingtaine). Si l’on connait quelques-uns des protagonistes, on ne peut qu’apprécier la justesse du regard porté sur eux.
Antoine Loubière
(note 1) L’État animateur. Essai sur la politique de la ville, Jacques Donzelot et Philippe
Estèbe, éditions Esprit, collection Ville et Société, 1994.
Mon voyage dans les institutions nantaises (1989-2014), Paul Cloutour (préface de Philippe Estèbe)
Le livre est disponible sur commande auprès de l’auteur :
paul.cloutour@wanadoo.fr